Ces personnes qui nous entourent

 

These People Surrounding Us

 

 

19 septembre  19 octobre 2025

 

Galerie du 148 – rue Paul Vaillant Couturier – ALFORTVILLE

 

 

Vernissage /Opening


Les Ballades mystérieuses, 2ème et grande version, dite triptyque d'Alfortville, 2024-2025, huile sur toile, 260 x 200 cm x 3.

 

Textes extraits du catalogue

Marie Glon

Supporter un regard

          " Qui sont ces personnes qui nous entourent ? "

 

        Adressée à Philippe Guérin à l’issue d’une réunion qui s’était déroulée dans son atelier, au milieu des toiles, cette question prenait à bras le corps le sujet central de sa peinture : ses tableaux sont peuplés d’hommes, de femmes, parfois d’enfants. Des figures qui s’inscrivent dans la longue histoire de la représentation humaine dans l’art occidental, tout particulièrement l’histoire du nu : un genre réputé prendre sa source dans l’observation de corps réels, mais s’en abstraire pour questionner l’humain, ce qu’« à travers notre propre corps, nous croyons percevoir [d’]un ordre universel[1] ».

 

         Ces personnages n’interagissent, à de rares exceptions près, ni les uns avec les autres – ce qui rend d’autant plus poignantes les quelques esquisses de gestes que l’on croit parfois surprendre entre eux –, ni avec un environnement : ni lieu, ni sol. Leurs visages, bien qu’assez singuliers pour que l’on perçoive la présence initiale d’un modèle vivant, restent à la lisière entre le réel et l’icône impersonnelle. Ils ne semblent pas surpris dans leur intimité ou dans une activité, d’où l’impression qu’ils se présentent – presque comme le ferait un portrait, pour certains –, mais tout en s’exposant ils paraissent indifférents. Leur regard semble tourné en eux-mêmes plus que vers l’extérieur. « Quand le regard est trop présent, le tableau "se déglingue", comme si dans une composition d’ensemble quelqu’un se détachait des autres pour dire moi, je ; on ne voit plus que ça… Il m’est arrivé de devoir effacer ou reprendre un corps entier et de remonter jusqu’au visage pour un regard trop appuyé. Il s’agit à la fois de présence et d’effacement ; la personne s’avance et se retire », remarque Philippe Guérin quand j’évoque ce sujet[2]. Ces personnes qui nous entourent ne sont donc pas vraiment avec nous. Peut-être en nous, appelant souvenirs, rêves ou cauchemars : certaines sont pâles ou grises ; des jambes se perdent dans des coquillages, une queue de poisson ; la résurgence de tracés antérieurs peut laisser apparaître deux têtes, quatre jambes... Mais si certaines figures nous invitent ainsi à une expérience onirique, sur la même toile il y en a toujours d’autres, d’une précision anatomique redoutable, confinant parfois à l’illusionnisme, pour nous ramener au fait qu’il s’agit de chair, de membres, de peau, que la peinture cherche à saisir ou à rendre. Cheminer dans ces toiles, c’est entrer dans cette quête du corps, obsessionnelle. (...)

 

[1] Kenneth Clark, Le Nu, t. 2, trad. M. Laroche, Paris, Hachette, 1998 [1956], p. 236.

 

[2] « Même [si le nu] regarde, son regard est absent : car il se voit dépossédé d’emblée de tout droit de regard, il n’est là – passivement – que pour être regardé » (François Jullien, De l’essence ou du nu, Paris, Seuil, 2000, p. 117).

 

 

Jean Attali

Beaucoup de demeures dans la maison du peintre.

         Philippe Guérin peint souvent alla prima, même s’il arrive qu’il reprenne ses tableaux bien après qu’ils furent commencés. Son travail répète sans relâche l’épreuve du contact frontal avec le papier ou la toile, rien de moins qu’un face à face physique et mental avec l’autorité de l’art. Comme s’il devait intégrer à sa peinture les sujets les plus anciens ou les plus universels, mais selon une actualité toujours transposée depuis sa vie propre et avec les moyens qui sont les siens : une sorte d’économie minimale, aux enjeux immenses, dans le périmètre étroit de l’atelier. L’artiste est à l’image du Dépeupleur de Beckett. Il monte aux échelles, il veut atteindre de hautes demeures diversement occupées et défendues par d’autres que lui, il traverse les alternances de l’ardeur et du refroidissement, de l’espérance insensée et du désenchantement. Cependant il apprend au fil des jours que son salut, s’il veut y croire, ne dépend que de lui.

 

        La visite de l’atelier permet de rejoindre le peintre là où se dessinent et se peignent en effet les formes de sa réponse aux demandes de l’art, c’est-à-dire aux exigences les plus pressantes de sa vie.

 

        Lorsqu’enfin la peinture entre dans l’espace d’exposition, c’est alors au passant, au curieux, à l’amateur de retrouver, pas à pas en regardant, le long cheminement des formes jusqu’à l’avènement d’un nouvel état de l’œuvre. C’est à cette tâche que se voue cette brève et discutable explication de quelques tableaux. (...)

 

 

Études scénographiques pour le projet d'exposition - Maquettes 3D par Wang Ying, Architecte

 

Philippe Guérin

Exposer au 148

        Pour préparer cette exposition, j’ai eu la chance de pouvoir travailler très en amont avec l’équipe municipale. Notre objectif fut d’apporter toute la rigueur artistique nécessaire pour la peinture tout en réfléchissant à des adresses ouvertes et ciblées pour divers publics. Lors de la première visite des différents partenaires à l’atelier, nous avons procédé à un repérage des œuvres susceptibles d’être présentées au 148. Très vite, il s’est avéré que nous avions, sur le principe, trois voire quatre expositions disponibles et cependant distinctes. Il nous fallait donc faire une sélection et par conséquent renoncer à un grand nombre de tableaux afin de définir une thématique cohérente, relayée ensuite par les auteurs sollicités pour le catalogue. La présente exposition s’est ainsi construite sur l’idée de deux temps successifs quant à l’approche des visiteurs.

 

        Le premier serait celui d’une immersion dans la peinture par l’installation de grands formats plutôt verticaux et de hauteur variable mais unifiés par une largeur unique de 200 cm. Il restait à concevoir une scénographie claire, permettant une réception globale à partir de l’espace existant – une salle vaste d’un seul tenant – en s’appuyant sur la structure du lieu, à savoir le rythme de la charpente. Cette continuité entre architecture et peinture, tradition très ancienne, permet cet in situ que l’on retrouve fréquemment aujourd’hui dans l’art contemporain.

 

        Le second serait celui d’un regard progressif sur la peinture car la notion du temps long, lorsqu’on aborde cette discipline, est souvent mise en avant par les praticiens, les critiques ou les historiens. Après la sensation d’un tout avec lequel on se familiarise peu à peu, la personne regardant entre graduellement dans un dialogue avec l’objet regardé, c’est-à-dire avec les sujets de la surface peinte, et comme me l’a dit récemment un artiste auquel je présentais le grand triptyque : « Il y a du monde ! »[1] (...)

 

[1] Michel CLERBOIS, artiste contemporain résidant et travaillant à Bruxelles. Extrait du catalogue édité pour cet évènement.